Fiscalité du capital : quels sont les effets de l'exil fiscal sur l'économie ? Communiqué de presse
La fiscalité du capital fait-elle fuir les hauts patrimoines hors de France et si oui dans quelle proportion ? Et quel est l’impact agrégé de l’exil fiscal sur le tissu économique, en particulier en prenant en compte les effets de ces départs sur les biens professionnels détenus par les personnes qui s’expatrient ? Dans ce nouveau Focus du Conseil d’analyse économique, Laurent Bach, Antoine Bozio, Nicolas Grimprel, Arthur Guillouzouic, Camille Landais et Clément Malgouyres apportent une contribution empirique originale au débat sur l’exil fiscal en répondant à ces deux questions. Ils montrent que la fiscalité du patrimoine a bien un impact significatif sur l’exil fiscal des plus hauts patrimoines mais celui-ci est relativement modeste et son effet sur l’économie française est également modeste, même en tenant compte du poids important des hauts patrimoines dans l’activité économique et entrepreneuriale.
Examen de deux grandes vagues de réformes de la fiscalité : en 2013 puis en 2017
Pour étudier la sensibilité des migrations des hauts patrimoines à la fiscalité, les auteurs étudient l’évolution des départs et des retours en France durant deux « chocs » fiscaux : en 2013, avec la suppression du prélèvement forfaitaire libératoire (PFL) et la soumission des revenus du capital au barème de l’impôt sur le revenu, et en 2017, avec la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) au profit de l’impôt sur la fortune immobilière, suivie l’année suivante de l’instauration du prélèvement forfaitaire unique (PFU). Un choc à la hausse donc, suivi d’un choc à la baisse. Pour identifier les ménages les plus susceptibles d’être affectés par ces réformes, les auteurs se basent sur les données fiscales déclarées et se concentrent sur le groupe de ménages appartenant au top 1% en termes de revenus du capital.
Constat 1. Les hauts patrimoines et hauts revenus du capital sont relativement peu mobiles, lorsqu’on les compare à la population moyenne ou aux hauts revenus du travail.
Constat 2. Les départs et les retours des ménages à hauts revenus du capital, bien que relativement faibles par rapport au reste de la population, sont sensibles à la fiscalité du capital. En 2013, l’augmentation de la fiscalité des revenus du capital a ainsi entraîné une hausse de 0,04 à 0,09 point de pourcentage du taux de départs nets pour les individus les plus affectés par la réforme. L’allègement de la fiscalité en 2017-2018 a entraîné une baisse des départs nets de 0,01 à 0,07 point de pourcentage. Ces effets restent cependant modestes en valeur absolue : une hausse des départs nets de 0.09 point de pourcentage (borne haute) parmi le top 1% des revenus du capital correspond à l’expatriation de moins de 350 foyers fiscaux par an sur les 385 000 que compte le top 1%.
En rapportant ces évolutions à l’ampleur des chocs fiscaux considérés, les auteurs obtiennent qu’une augmentation d’un point de pourcentage du taux effectif d'imposition sur les revenus entrainerait à long terme l’expatriation supplémentaire de 0,02 à 0,23% des hauts patrimoines soumis à cette hausse d’impôt (soit entre 90 et 900 foyers environ pour un impôt ciblant le top 1%)
Quel impact sur l’activité économique ?
Au-delà de ce premier constat, l’étude va plus loin en exploitant un appariement inédit de données administratives françaises sur l’imposition des revenus et des patrimoines, sur la détention d’entreprises et sur la mobilité des contribuables. Ces données permettent ainsi de mesurer l’impact que peuvent avoir les départs de hauts patrimoines sur l’économie, en particulier lorsqu’ils détiennent des biens professionnels. L’expatriation d’un actionnaire détenant une part significative d’entreprises a un effet brut significatif sur l’activité économique de celle-ci. En France, ces effets s’observent à la fois en termes d’évolution du chiffre d’affaires (-15%), de la masse salariale (-30,6%) et de la valeur ajoutée (-24,3%). Une partie de ces effets peut toutefois en pratique être compensée ou au contraire amplifiée par divers mécanismes de réallocation et d’équilibre. Une étude similaire (Jakobsen et al. 2025), dans le contexte scandinave, montre ainsi que les effets nets sont significativement inférieurs aux effets directs, une fois pris en compte les restructurations (fusions, acquisistion, etc) d'une part, et les réallocations sur le marché du travail d'autre part.
Constat 3. Les effets économiques agrégés des départs induits par une hausse de la fiscalité sont faibles, notamment du fait du faible effet de la fiscalité sur les départs en valeur absolue, et des effets de réallocation qui compensent en partie l’effet économique brut des départs : ainsi, les départs induits par une réforme qui augmenterait la fiscalité du top 1% de 4 milliards d’euros, entrainerait une réduction de -0,03% du chiffre d’affaire et de la masse salariale au niveau national, et de -0,05% de la valeur ajoutée.
Au-delà de l’exil fiscal
Les auteurs soulignent que leurs résultats ne présument pas des effets totaux d’une réforme de la fiscalité du patrimoine. Au-delà de l’exil fiscal (marge extensive), il faut en effet tenir compte des réponses comportementales à la marge dite intensive : épargne, accumulation patrimoniale, entrepreneuriat, optimisation et évasion fiscale… Dans le contexte scandinave, il a pu être montré que les réponses à la marge intensive étaient 2,5 fois plus importantes que celles à la marge extensive pour apprécier l’effet des réformes sur les recettes fiscales et sur les distorsions imposées à l’activité économique. Au-delà de la question de l’expatriation, ils invitent ainsi à recentrer le débat sur les autres marges de réponses des hauts patrimoines à la fiscalité, notamment sur les stratégies d’optimisation pour échapper à l’impôt.