Les objectifs ambitieux de la politique climatique et les augmentations qu’ils induiront, tant en termes de niveau des prix du carbone que du nombre de secteurs et de biens concernés, soulèvent la question de leur impact économique sur des pays et des secteurs d’activité dont l’intensité en carbone est très hétérogène. Dans ce Focus, nous présentons des estimations de l'ampleur des réallocations intersectorielles induites par la taxation des émissions de gaz à effet de serre là où elles sont produites, en nous appuyant sur un modèle quantitatif multi-pays et multi-secteurs de chaînes de production.
Une taxe carbone à 100 $/tonne sur les émissions de la production et de la consommation nationales ferait peser une charge fiscale limitée sur l'économie française. Les secteurs consommant relativement plus de carbone, les plus taxés, enregistreraient les plus fortes baisses de production, autour de 30% pour les plus touchés, à savoir le raffinage du pétrole et le transport aérien. Les secteurs à forte intensité d'émission, tels que la métallurgie, enregistreraient également des baisses de 5 à 10 % de leur production. Au contraire, les secteurs à plus faible intensité d'émission progresseraient légèrement, avec la réallocation d’une partie de la main d’œuvre et des capacités de production depuis les secteurs les plus émetteurs vers les moins émetteurs.
L’impact négatif d’une taxe carbone serait fortement atténué par la redistribution aux consommateurs des recettes fiscales ainsi générées sous la forme d'un transfert forfaitaire. L’incidence sur le bien-être français serait alors marginal. Cependant, l’effet relativement faible de la tarification du carbone sur l'économie globale va de pair avec un impact modeste sur le volume des émissions, très insuffisant au regard des objectifs de neutralité carbone en 2050. Une taxe de 100 $/tonne n’induirait en effet qu’une réduction de 22 Mt des émissions annuelles de gaz à effet de serre, alors que les émissions de CO2 devraient atteindre 408 Mt en 2022 en France.
Les impacts du prix du carbone dans un modèle sans changement technologique suggèrent que la neutralité carbone est difficilement réalisable sans progrès technologique pour réduire l'intensité des émissions de la production ("croissance verte"), et/ou sans changement dans les comportements des consommateurs ("décroissance"). Ces résultats pourraient motiver une utilisation ciblée des recettes de la taxation du carbone, de manière à soutenir une transition technologique dans les secteurs fortement émetteurs.