Compléter les comptes nationaux pour que l’arbre ne cache plus la forêt. Communiqué de presse
Face au dérèglement climatique et ses multiples conséquences, les décideurs publics ont besoin d’informations fiables sur les coûts et bénéfices des actions de préservation de l’environnement. Pour cela, il est indispensable de disposer d’une valorisation comptable du capital environnemental qui dépasse le seul cadre marchand. A partir du cas de la forêt, Dominique Bureau, Philippe Delacote, Fanny Henriet et Alexandra Niedzwiedz proposent, dans cette note du CAE, une méthode de valorisation des multiples services rendus par la forêt dans les comptes nationaux. Ce travail permet d’éclairer les politiques publiques en rendant visibles les coûts et bénéfices jusqu’alors implicites des actions en faveur du secteur forêt-bois. Si cet exercice peut être étendu à d’autres écosystèmes, le cas de la forêt est exemplaire : le puits de carbone forestier a été divisé par deux en dix ans, et sa contribution future aux objectifs de neutralité carbone reste incertaine.
La forêt : une alliée des politiques climatiques faiblement valorisée
Les forêts jouent un rôle climatique central en France. En absorbant en moyenne 10% des émissions nationales par an, les forêts constituent le principal levier de séquestration du CO2 en France. En se substituant à d’autres matériaux ou sources d’énergie davantage émetteurs de carbone, le bois permet de réduire les émissions de CO2. Cependant, les conséquences du changement climatique remettent ce rôle en cause. La dégradation de l’état de santé des forêts a conduit à diviser par deux le puits de carbone forestier en dix ans. L’augmentation de la fréquence et de l’intensité d’évènements climatiques (tempêtes, sécheresses) fragilisent la capacité de régénération des forêts, interrogeant la neutralité carbone du bois énergie qui concentre pourtant l’essentiel des soutiens publics du secteur.
Recommandation 1. Pour préserver la résilience des écosystèmes et la capacité de séquestration des forêts, ne plus subventionner les coupes rases, prioriser les usages longs du bois (construction, mobilier) et favoriser la cascade des usages où le bois-énergie intervient en second, après le bois-construction.
Intégration des services écosystémiques de la forêt dans les comptes nationaux
Les indicateurs statistiques actuels, en ne prenant en compte que le service d’approvisionnement en bois, ne permettent pas de guider l’action publique face à des arbitrages concernant les usages du bois. Premièrement, le manque de données collectées ne permet pas d’adopter une approche intégrée de la filière forêt-bois, tenant compte à la fois des ressources forestières et des usages du bois. Deuxièmement, les indicateurs disponibles, notamment le coût social du carbone, ne permettent pas de tenir compte des effets du changement climatique sur l’état de santé des forêts et leur capacité fragilisée de régénération, biaisant ainsi les recommandations de politiques publiques. Troisièmement, la multiplicité et la diversité des services rendus par les forêts (séquestration du carbone mais aussi préservation de la biodiversité, régulation de la qualité de l’air et de l’eau, services récréatifs, etc.) complexifient leur évaluation économique en posant des problèmes méthodologiques.
Recommandations 2 à 4. Approfondir la collecte et le couplage des données sur la forêt et les usages du bois pour disposer d’un panorama complet et précis des stocks de bois et de carbone dans l’ensemble de la filière. Valoriser la tonne de CO2 capturée en forêt au coût social du carbone auquel on applique le coefficient 0,4 pour prendre en compte les spécificités du puits de carbone forestier. Poursuivre les travaux pour isoler la valeur du service récréatif propre à la forêt et éviter des doubles comptes avec des services d’autre nature.
Une valorisation qui éclaire les politiques publiques forestières
En considérant tous les services rendus par la forêt, les auteurs estiment une valeur ajoutée de la forêt métropolitaine de 11,2 milliards d’euros en 2018 -soit 3,5 fois sa valeur uniquement marchande, dont les 2/3 proviennent des services de séquestration carbone, de régulation et des services récréatifs. En mettant l’accent sur le caractère non permanent du stockage du carbone en forêt, ces estimations apportent un nouvel éclairage sur le bilan carbone de l’usage du bois-énergie, au mieux faiblement positif et sûrement très incertain. Le biais des soutiens publics en faveur du bois énergie est en partie lié au fait que les combustibles fossiles auxquels le bois est censé se substituer (gaz, fioul ou charbon) sont soumis à une tarification du carbone, via le système européen d’échange de quotas (ETS) ou la Contribution climat énergie, contrairement au bois, dont les émissions sont supposées être immédiatement reséquestrées grâce à la repousse des arbres. Plus généralement l’intégration des bénéfices environnementaux dans la valorisation du secteur forêt-bois est nécessaire afin de construire des politiques publiques efficaces, capables d’appréhender les arbitrages multiples et antagonistes entre économie et résilience.
Recommandations 5 à 7. Intégrer la filière bois dans les marchés de quotas CO2, avec un prix reflétant la non-permanence du stockage. Établir un référentiel économique cohérent d’évaluation des politiques forestières intégrant pleinement les services écosystémiques de la forêt. Pour tenir compte des enjeux de biodiversité, développer des stratégies fondées sur la diversification des essences, une forme de sobriété dans l’exploitation forestière et une démarche d’agilité dans les choix de gestion, en s’appuyant notamment sur les paiements pour services écosystémiques.