La question du partage de la valeur est de retour dans le débat public avec le projet de loi portant transposition de l’accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise, qui prévoit d’étendre l’obligation de mise en place d’un mécanisme dans les entreprises de moins de 50 salariés. Dans cette nouvelle Note du CAE, Maria Guadalupe, Camille Landais et David Sraer présentent les dispositifs de distribution de la valeur ajoutée en France et proposent une évaluation de l’impact de ces dispositifs sur les salaires, les performances des entreprises et les finances publiques.
Ils soulignent que la substitution entre ces dispositifs de partage de la valeur et les salaires est le point central pour déterminer leur efficacité et que cette substitution varie selon les dispositifs en place. Pour poser les jalons d’une vraie politique du partage de la valeur et éviter les effets d’aubaine, ils recommandent de privilégier un dispositif unique idéalement assis sur une formule simple, transparente et clairement adossée à la profitabilité de l’entreprise (comme la participation obligatoire) mais dont les paramètres pourraient être négociés au niveau des branches ou même des entreprises.
Les mécanismes de partage des profits en France
Il existe quatre grands dispositifs de partage de la valeur ajoutée au sein des entreprises : la participation, l’intéressement, l’abondement et la prime pour le partage de la valeur (PPV). Les montants distribués via ces dispositifs (19,5 milliards d’euros en 2021) représentent environ 1% de la valeur ajoutée totale. L’accès à ces dispositifs est hétérogène entre les entreprises et entre les salariés.
Constat 1. Les dispositifs de partage de la valeur restent faibles relativement à la valeur ajoutée totale et semblent peu à même d’affecter structurellement le partage de la valeur au niveau agrégé par rapport à d’autres politiques de pré-distribution.
Constat 2. Parce qu’ils sont plus présents dans les entreprises les plus grandes et les plus rentables, la redistribution de la valeur ajoutée via ces dispositifs est hétérogène entre entreprises. Ils profitent plus aux salariés du haut de l’échelle des salaires.
La substitution entre dispositif de partage et salaire : un point clef pour déterminer l’efficacité
Une forte substitution entre dispositif de partage et salaire implique que ces dispositifs bénéficient moins aux salariés puisqu’ils perdent en salaire une partie de ce qu’ils gagnent en partage des profits; une forte substitution conduit également à un coût important pour les finances publiques dans la mesure où les dispositifs de partage de la valeur bénéficient d’avantages fiscaux. Or la substitution est différente selon les dispositifs mis en place : la participation obligatoire n’entraîne aucun effet de substitution, au contraire des dispositifs volontaires comme l’intéressement ou la prime de partage de la valeur (PPV) dont le coût fiscal est d’autant plus élevé.
Le changement du seuil de la participation de 100 à 50 salariés lors de la réforme de 1990 permet d’analyser empiriquement, et de manière causale, les effets de la mise en place d’un mécanisme obligatoire de partage de la valeur. Nos analyses montrent que la participation obligatoire est perçue comme un coût net pour les actionnaires et n’entraîne pas d’effet de substitution sur les salaires. Contrairement à la participation obligatoire, les autres mécanismes comme l’intéressement et la PPV sont plus propices à la substitution étant donné leur plus grande souplesse et le caractère volontaire de leur implémentation.
Constat 3. La participation obligatoire ne se substitue pas aux salaires, ne réduit pas l’investissement et n’améliore pas non plus la productivité des entreprises. Elle agit donc essentiellement comme un outil de redistribution au sein de l’entreprise, un outil coûteux pour les dépenses publiques puisqu’il fait baisser les recettes d’impôt sur les sociétés mais efficace en raison de sa faible substitution avec les salaires.
Constat 4. Les dispositifs volontaires de partage de la valeur ajoutée semblent ne pas affecter significativement les performances des entreprises et se substituer significativement aux salaires.
Implications pour la régulation des dispositifs de partage de la valeur
Ces dispositifs ont un coût pour les finances publiques car un euro de profit, qui aurait été normalement soumis à l’impôt sur les sociétés, en est désormais exempté et taxé seulement à un taux réduit de prélèvements sur les salaires. À ce coût fiscal direct s’ajoute les coûts liés à la substitution avec les salaires dans le cas des dispositifs volontaires. Il serait donc souhaitable de privilégier un dispositif unique idéalement assis sur une formule simple, transparente et clairement adossée à la profitabilité de l’entreprise (comme la participation obligatoire) mais dont les paramètres pourraient être négociés au niveau des branches ou même des entreprises.
Constat 5. Le coût budgétaire par euro de valeur ajoutée effectivement redistribué des profits vers les salaires est de l’ordre de 15 centimes pour la participation obligatoire, et entre 21 et 38 centimes pour les dispositifs volontaires comme l’intéressement ou la PPV.
Constat 6. La réforme considérée dans le projet de loi pourrait aboutir à transférer entre 350 et 700 millions d’euros des profits vers les salariés, pour un coût total pour les finances publiques variant de 75 à 200 millions d’euros.
Recommandation 1. Adosser le nouveau système de partage de la valeur à une formule unique, liée au profit de l’entreprise facilement observable et peu manipulable. Les paramètres de cette formule pourraient être ajustés en fonction de la taille de l’entreprise et être négociés au niveau des branches ou de l’entreprise.
Pour aller plus loin sur "Les effets de la participation obligatoire : les enseignements de la réforme de 1990", lire le Focus n° 100 de Elio Nimier-David, de David Sraer et de David Thesmar